Du matin au soir, il faut courir dans l'escalier Et le monter, et le descendre, et le monter Au ding ding oppressant de la clochette qui sonne Et qui resonne et qui résonne et qui ordonne, Pas une minute de répit, il faut croire que la patronne Ne peut rien faire sans sa bonne
Un coup pour aller l'habiller, deux pour le petit-déjeuner, C'est parti pour toute la journée, Pour les affaires à repasser, pour les chaussettes de Monsieur,Pour les chapeaux ou les cheveux, Pour finir un sourire pincé en guise de vague merci Madame pense que ça suffit
Maudite clochette Et maudit métier Je fais la soubrette Dans les beaux quartiers Quand j'entends sonner Je suis toujours prête Modeste et discrète Serviable et zélée En un mot ... parfaite Maudite clochette
On peut dire que Madame sait faire marcher une maison Au doigt, à l'œil, à la baguette, Ici, maintenant, pour un oui, pour un non À tort ou à raison, elle fait sonner sa sonnette Alors surtout, il faut se presser, ne pas traîner, ni rêvasserNe pas penser, ne pas penser
Ding ding, viens ici, va là-bas, ding ding, fais ceci, fais cela Ding ding, préparez-nous le repas Ding ding, servez le thé au salon Ding ding, il nous faut du charbon Ding ding, faites les cuivres à fond Ding ding, de la cave au grenier, du haut en bas de l'escalier Des chambres aux cuisines Ding ding ding Ding ding ding
Maudite clochette Et maudit métier Je fais la soubrette Dans les beaux quartiers Quand j'entends sonner Je suis toujours prête Mon corps et ma tête Jamais fatigués Et rien ne m'arrête Maudite clochette
Madame s'arrange bien souvent pour sucrer Mon jour de congé, oublie de me le redonner Quand je fais une course au marché Elle recompte la monnaie, avant, après, on n'sait jamais Et s'il manque une petite cuiller, on ne dit rien et l'on s'étonne Mais c'est la bonne qu'on soupçonne
Comme elle a la fâcheuse manie de contrôler mes faits et gestes Qu'elle veut savoir tout et le reste Cette garce surveille mes lectures, épluche mon maigre courrier, Fouille ma chambre et mon passé, Mais je ne dis rien, je serre les dents L'âme humiliée, je ne suis personne Qu'une domestique que l'on sonne
Maudite clochette Et maudit métier Je fais la soubrette Dans les beaux quartiers Quand j'entends sonner Je suis toujours prête Pauvre marionnette Tellement dévouée Patiente et honnête Maudite clochette
Mais je sais bien qu'une nuit viendra, Nuit de colère, nuit de cendres Ding ding, il me faudra descendre Madame a tellement peur de l'orage Et comme Monsieur est parti Faut que je lui tienne compagnie Que je redresse ses oreillers Que je lui porte un verre de lait Et plus vite que ça, s'il vous plaît !
Tu ne devrais pas parler comme ça, pauvre Madame, Seule dans ton lit, si vulnérable à ma folie Tu viens de sonner une fois de trop Il faut que cesse cette torture À coups de ciseaux de couture Et je vois dans ton regard perdu Qu'il n'y a que ça que tu comprennes, Ton sang qui coule sur ma haine
Maudite clochette Et maudit métier Sais-tu que je souhaite Quand j'entends sonner ? Te couper la tête Et la faire rouler Du haut de l'escalier Les mâchoires serrées Sur ta chère clochette À jamais muette
Ça va, ça va, on vient, on arrive
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