Après râles et cris et terribles efforts Des cuisses écartées émergea une tête. Énorme cette tête, bientôt suivie du corps... Bien malingre ce corps, bien proche du squelette Le père aimait Hugo. Il prénomma Victor Ce fils dont le destin défraya les gazettes: Celui de l'homme à la cervelle d'or.
L'enfance s'écoula au royaume des bosses. Victor se cognait partout. Sur le torse chétif, cette tête trop grosse Basculait tout à coup, Le marbre du perron, le pied de la console Frappaient sur ce front balourd Et les mains de maman sur ses genoux consolent Le sanglotant tambour.
Voici l'été. Quinze ans. L'adolescence fière Les rochers ocres, la mer... Dans l'air étincelant, le garçon, par les pierres, Bondit vers cette chair, Cette chair qui chatoie, qui respire et murmure Les versets de l'univers, Mais voici le plongeon, voici la pierre dure, Voici le crâne ouvert.
Le garçon vit encore. Lentement son bras bouge Il atteint de ses doigts le sommet de son front Il saisit quelque chose entre les cheveux rouges, Comme un bout de métal, comme un grumeau de plomb Mais ce n'est pas du plomb, le caillot étincelle Et Victor le contemple, hagard, de ses yeux morts Et soudain il comprend le poids de sa cervelle... Sa cervelle ébréchée est faite d'un bloc d'or.
Dans le jour finissant, il rentrera chez lui. À tous il cachera le caillot qui reluit.
Vingt ans. Il a vingt ans. Victor fait de l'escrime; Ça fortifie ses jarrets. Son fardeau cervical presque plus ne l'opprime. Il le garde secret. Son père disparu lui laissa sa fortune... À nous les nuits de Paris! Mais de femme auprès de lui, pas l'ombre d'une Leur regard le meurtrit. Victor n'aime que l'art, fréquente les poètes, Pratique le mécénat. Un soir dans un salon, un visage le fouette Le visage d'Anna. "C'est un diable masqué beaucoup plus qu'une femme
Lui ricane un écrivain Si vous voulez chuter du plus haut de votre âme, Anna est un ravin. "
L'invasion du désir vous transforme en désert. Tout est vide excepté ce soleil qui vous brûle. Blindez vous de refus, tel un rayon laser La pulsion suraigüe vous crève comme bulle. Victor s'est enfermé et devant un miroir, Les yeux troués de fièvre, il penche de la tête; Puis la redresse haut dans une aile d'espoir... Il est riche! Avec l'or se forgent les conquêtes.
Une semaine après, la nuit inoubliable Victor se sent un Dieu et couche avec le diable.
Après râles et cris, vertigineux transports,
Des cuisses écartées d'Anna, Victor s'arrache... Il lui lèche le nez; ses orteils, il les mord, De ses fauves cheveux se fait une moustache. À bord d'un blanc voilier, de vieux port en vieux port, Leur jeunesse dorée crépite sans relâche Là bas, veille le coffre fort.
"Mon signe est le poisson, j'ai besoin de rivières, Tu sais, celles en diamants" Roucoule un jour Anna, enroulée comme lierre Au tronc de son amant. Le soir même apparaît dans l'écrin de soie verte Un reptile irradieur. Pour le lait de la peau les perles sont offertes, Le rubis pour le cœur.
"Sois sage, ô ma douleur, et tiens toi plus tranquille" Victor lit les "Fleurs du Mal". "Une calme langueur enveloppe la ville... Si nous allions au bal? Ma puce tu m'ennuies avec ton Baudelaire. Demain, demain tu liras." Et chante le champagne! Et vogue la galère Vers d'ardents baccaras!
Dix huit cent cinquante huit. Trottinant sous la bruine, Un fiacre s'en revient. À l'intérieur, Victor. Le notaire à lorgnon prononça le mot "ruine". Un terme bien chinois pour un psychisme d'or. "Eh bien, bonsoir Paris! La demeure en Gironde Durant quelques saisons tous deux nous recevra.
D'ailleurs, il était temps de fuir un peu le monde. Je pourrai composer mon livret d'opéra."
L'amoureuse se farde. On lui dit que l'or passe. Le visage flambant se glace dans la glace.
Est ce bien de l'amour, l'amour du haïssable? Vous ne valez plus rien, les mains vides d'écus. L'écumante Vénus vous laisse sur le sable Et s'en va, Dieu sait où, troquer son joli cul. Est ce bien de l'amour, ce poison qui vous manque? Ce cauchemar tordu dans la noirceur des draps? Tournoie l'ange maudit. Son temple est une banque. Vers l'horrible Jésus, Victor tend ses deux bras.
L'obsession se glissa par d'affreuses persiennes: Le trésor enfoui dans la boîte crânienne.
Victor lâche, hoquetant, la bouteille de fine, Tout flotte dans du violet. Paupières, crispez vous et pincez vous, narines Il saisit le piolet. Il serre fortement l'instrument alpiniste, L'orientant vers l'occiput, Et l'abat comme un bœuf. Éclate la pépite Qui asservit les putes.
Richesse, ton parfum, très vite ça se hume De nouveau, chez Victor, les lustres se rallument.
Parée de repentirs revient la courtisane... Nouvelle lune... de fiel. Lorsque la fille boude, on se creuse le crâne Sort le minéral miel. La folie du marteau trépane un dernier lobe,
Racle les derniers éclats. Anna est repartie avec sa garde robe... Pour Victor, elle est là, Elle est là Elle est là "Anna, Anna, Anna ma chère Anna sois bonne pour un soir... Ma tête est vide... mais tu vas voir Dans un tiroir du secrétaire J'ai l'or le plus pur de la terre... Mon trésor secret... ma misère J'avais quinze ans... la mer... la pierre... Viens, c'est à toi, je te le donne Anna, Anna..."
Le cadavre béant gît au pied du fantôme Le caillot de jadis rayonne dans la paumeTeksty umieszczone na naszej stronie są własnością wytwórni, wykonawców, osób mających do nich prawa.